Auteur Jean-Pascal MICHAUD

Contrôle fiscal d’un restaurant, la justice nous donne raison.

Notre Cabinet a obtenu une victoire savoureuse en matière de contrôle fiscal d’un restaurant avec reconstitution de chiffre d’affaires.

Je saisi l’occasion pour vous exposer non seulement ladite affaire, mais aussi vous relater les péripéties d’une longue procédure fiscale.

Parfois, l’administration fiscale se conduit mal. Il faut alors beaucoup d’obstination et de courage de la part des contribuables qui en sont victimes, pour obtenir justice.

L’histoire que je vais vous conter ici est une véritable caricature. Heureusement, tous les contrôles ne se déroulent pas ainsi. Mais elle est selon moi une bonne illustration du rouleau compresseur inhumain que peut parfois constituer notre administration.

Une mauvaise série.

En 2013, un restaurant asiatique dirigé par des associés d’origine chinoise, et situé à Paris, fait l’objet d’un contrôle et d’une rectification fiscale. Elle porte sur les exercices 2010 et 2011 pour un montant de plus de 350 000 euros.

Ce redressement se fondait sur une reconstitution de chiffre d’affaires effectuée sur la seule base des commandes d’étuis jetables en papier pour baguettes en plastique.

En désaccord avec le redressement mais effrayés à l’idée de s’opposer à l’Etat français, nos trois associés choisissent de ne pas contester le redressement.

Ils prennent un conseil non avocat qui leur négocie une transaction avec l’administration. Cette transaction prévoyait simplement une réduction des pénalités et un échelonnement du paiement sur 18 mois, jusqu’à l’année 2016. 

Au prix de sacrifices importants, ils parviennent à honorer l’échéancier et espèrent être sortis de cette mauvaise aventure.

Mais quelques mois seulement après le règlement du solde de sa dette, la société fait l’objet d’un nouveau contrôle fiscal. Il est diligenté par le même service et sous la direction de la même responsable de brigade.

Le contrôle entraîne de nouveau une rectification, cette fois sur les exercices 2013, 2014 et 2015. La douloureuse s’élève à plus de 600 000 euros. Cerise sur le gâteau, une rectification par ricochet est adressée à l’un des trois associés, en sa qualité de prétendu « maître de l’affaire » pour un montant d’un petit million d’euros (une paille!).

Cette fois-ci nos restaurateurs sont ruinés, et risquent de mettre la clé sous la porte. Après vingt ans de travail acharné, ils sont totalement démoralisés, et désabusés.

En dernier recours, ils passent la porte de notre cabinet, dans l’espoir d’être aidés pour obtenir un nouvel accord avec la toute puissante administration fiscale.

A la lecture du dossier nous sommes atterrés, le redressement ne tient absolument pas la route et nos trois associés ne sont manifestement pas des fraudeurs. Nous aurons bien du mal à les convaincre de ne pas se laisser faire, et de faire valoir leurs droits.

Après 7 ans de procédure nous obtenons enfin une victoire totale. Cela n’a pas été sans difficulté.

Un contrôle manifestement à charge.

La spécificité de ce dossier reposait sur la méthode utilisée par l’administration pour réaliser son redressement.

Après avoir effectué son premier contrôle sur la base d’étuis en papier jetables, le vérificateur a réutilisé cette même méthode, pourtant plus que douteuse.

Manque de chance pour lui, le résultat conduisait certes à un redressement sur la première année mais également à un trop perçu d’impôt pour l’administration sur les deux suivantes.

Pas de problème pour le vérificateur, il décide alors d’écarter cette méthode pour les deux années pour lesquelles elle ne l’arrangeait pas. Il en retient une autre, tout aussi douteuse, celle des serviettes en papier jetables!

Pire encore, lors d’un rendez-vous d’étape avec les associés et leur expert-comptable, le vérificateur leur a déclaré : je suis content, j’ai trouvé une méthode qui aboutit à un beau redressement !

Imaginez l’effet dévastateur sur l’image de l’administration auprès des contribuables.

Avec la combinaison de ses méthodes, notre vérificateur aboutit donc à une reconstitution de recettes fondée exclusivement sur des produits non alimentaires et jetables.

Ainsi, pour l’exercice 2013, la reconstitution de recettes a donc été effectuée sur la base d’étuis de baguettes en papier jetables ainsi que sur la base de serviettes en papier jetables mises à la disposition des clients en libre service.

Pour les exercices 2014 et 2015, la reconstitution de recettes a été réalisée exclusivement sur la base de serviettes en papier jetables, mises à la disposition des clients en libre service.

Une belle proposition de rectification est envoyée. Notre sympathique inspecteur attend alors tranquillement que ses dociles administrés viennent le supplier de leur accorder une transaction.

Des contribuables effrayés.

Mais ceux-ci, au pied du mur, font donc un choix différent. Ils choisissent de contacter un cabinet d’avocats spécialisés en contentieux fiscal, le nôtre pour ne pas le citer.

Après une première lecture du dossier, nous les informons du caractère aberrant de la rectification, et manifestement biaisé de la méthode de reconstitution retenue.

La jurisprudence avait déjà écartée comme manifestement viciée une reconstitution basée uniquement sur des serviettes jetables (CAA Bordeaux 09/03/1999- Le Centaure).

Nos trois associés sont très dubitatifs. Contester la position de l’administration les effraient beaucoup. La compréhension de la situation leur est d’autant plus complexe que le français n’est pas leur langue maternelle.

Nous parvenons toutefois, non sans mal, à les convaincre d’aller cette fois-ci à l’affrontement avec le service vérificateur. L’argument qui fait finalement mouche ici est la comparaison avec le contrôle précédent. Accepter une reconstitution biaisée et payer ce que l’administration réclamait à tord ne les a aidé en rien. Trois ans plus tard elle est revenue pour les rectifier de nouveau. La seule solution pour sortir de ce cercle vicieux est de démontrer la rentabilité réelle de leur activité. Ils prouveront ainsi que leurs déclarations étaient exactes, sincères, et non sous estimées.

Un contrôleur fermé à toute remise en question.

En 2017, nous présentons donc des observations du contribuable contestant la méthode de l’administration. Elle est uniquement fondée sur des produits non alimentaires et de valeurs négligeables. Elle est donc nécessairement imprécise et inadaptée. D’après notre analyse et selon la jurisprudence, cette méthode était radicalement viciée dans son principe. Cela devait nécessairement conduire à l’abandon de redressement.

Nous démontrons également par les relevés de stocks de produits alimentaire la parfaite cohérence des chiffres d’affaires et bénéfices déclarés, et donc l’absence de manquement de la société.

Le travail que nous avons rendu est sérieux, précis et documenté . Nous espérons alors avoir sorti d’affaire nos trois restaurateurs.

Vient alors, quelques mois après, la réponse de l’administration. Et c’est la douche froide!

La réponse aux observation du contribuable est particulièrement désagréable sur le fond comme sur la forme. Le vérificateur balaie tous nos arguments et maintient l’ensemble des rectifications.

Nous prenons donc acte de l’impossibilité de résoudre la situation à son niveau. Nous procédons à une demande de recours hiérarchiques (chef de brigade et interlocuteur départemental).

A titre conservatoire, nous saisissons également la commission départementale IDTCA, une commission paritaire chargée d’arbitrer les désaccords persistants (j’y reviendrai plus tard).

Des supérieurs hiérarchiques dans le déni.

Selon la traditionnelle loi des séries, les deux recours hiérarchiques seront dans la pure lignée des étapes précédentes.

Fermée à tous nos arguments, la chef de brigade nous sortira de belles monographies de la rentabilité moyenne d’un restaurant asiatique. Elle nous expose le montant de bénéfice qu’aurait dû déclarer notre client. Par la magie des mathématiques, la rectification finale aboutit précisément à cette rentabilité moyenne. Nous comprenons ainsi que la reconstitution n’est qu’un prétexte. Le résultat du contrôle était décidé avant même que celui-ci ait débuté. Après avoir écarté tous nos arguments, notre interlocutrice nous demande, la bouche en coeur, si nos clients souhaitent signer une transaction…

Au final, ce recours aboutira quand même à quelques abandons, résultant de la mise en évidence par nos soins d’erreurs de calcul commises par le vérificateur au détriment des contribuables. La magie des mathématiques…

L’interlocution départementale sera dans la même veine. Les abandons obtenus relèvent ici encore de la correction d’erreurs de calcul et d’incohérences méthodologique mises en évidence par nos soins. Mais sur le principe : aucune remise en question.

A la fin de l’année 2017, et après ces recours, les conséquences financières seront réduites de 60 000 euros.

La Commission départementale : une bouffée d’air frais.

Les recours precontentieux auprès de l’administration étant clos, nous nous tournons vers la dernière voie précontentieuse restante, la Commission départementale IDTCA.

Elle se compose paritairement de membres de l’administration fiscale et de représentants des contribuables (en général des membres des chambres de commerces et des experts comptables). Surtout, elle est traditionnellement présidée par un juge du tribunal administratif.

Elle n’a en principe qu’un rôle consultatif. Dans la très grande majorité des cas, l’administration fiscale suis son avis puisqu’il préfigure l’issue qu’aurait un contentieux.

Nous décidons de faire de ce dossier une affaire personnelle. Nous effectuons, avec l’aide d’un huissier de justice, notre propre reconstitution de recettes en utilisant trois produits alimentaires très vendus dans le restaurant contrôlé : salade de chou, brochette de poulet et brochette de boeuf. Cette reconstitution démontre clairement l’absence de manquement déclaratif de la société. Nous faisons également constater par huissier placé derrière la caisse que la part de cash dans les recettes n’excède pas 3%. Bien loin des 60% de chiffres d’affaires prétendu dissimulés!

Nous faisons un véritable show à la Commission, amenant des plats pour illustrer la reconstitution.

La séance est un calvaire pour le vérificateur, dont les manquements sont mis en évidence.

Quelques mois plus tard, l’avis de la Commission tombe.

Elle estime dans des attendus très clairs que la méthode de reconstitution de recettes de l’administration est radicalement viciée et que notre reconstitution de recettes démontre l’absence de manquement déclaratif.

Elle conclut à l’annulation totale du redressement.

C’est en principe la délivrance et la fin du cauchemar pour nos trois restaurateurs.

Un contentieux qui aurait dû pouvoir être évité.

Et bien non ! Contre toute attente, l’administration fiscale décide de ne pas suivre l’avis de la Commission et de maintenir sa rectification.

Elle met en recouvrement et nous devons engager un contentieux fiscal.

La première étape est l’envoi d’une réclamation contentieuse avec demande de sursis de paiement.

Celle-ci est adressée au directeur des services fiscaux. Elle devrait, en principe, permettre un traitement du dossier par les services du directeur et non plus par le service vérificateur.

En principe seulement, car l’administration a pris la mauvaise habitude de dévoyer ce recours. Elle fait directement traiter les réclamations contre les redressements fiscaux par les mêmes services que ceux qui les ont effectués. Et, ô étrange surprise, ils concluent généralement qu’ils sont parfaitement d’accord avec eux mêmes et ont fait un excellent travail.

Au cas particulier, et vu le caractère affligeant dudit travail, l’exercice demeure assez périlleux pour la brigade. Peu importe, elle opte pour la simplicité en se contentant d’un rejet tacite. Elle ne répond donc pas à notre réclamation dans le délai de six mois qui lui était imparti. Le dossier aurait-il été discrètement placé sous la pile ?

Face à ce rejet tacite il ne nous reste plus qu’une possibilité, saisir le Tribunal administratif, ce que nous faisons donc dès que possible, en octobre 2019.

Un Tribunal administratif peu enclin à censurer l’administration.

Devant le Tribunal administratif, notre contradicteur en défense reste bien entendu l’administration fiscale. Mais il s’agit d’un autre service que celui qui a fait le contrôle, le service juridique.

Bien souvent, le service juridique va prononcer un dégrèvement en cours d’instance lorsqu’il estime que ses chances de l’emporter sont trop faibles. Il évite ainsi la publication d’un jugement défavorable.

Ce ne sera pas le cas ici et le rédacteur va défendre coûte que coûte la méthode de l’administration. Il accorde toutefois de larges dégrèvements pour essayer de la rendre plus « crédible »

Près de 350 000 sont ainsi dégrevés, ramenant l’enjeu financier à un peu plus de 220 000 euros.

Finalement, le Tribunal administratif va rendre son Jugement en 2021, réduisant encore le redressement à environ 150 000 euros. 

Le coût financier du redressement a été plus que divisé par 4. Mais nous demeurons très contrariés par ce jugement qui réussit tout à la fois :

  • à maintenir sur le principe une reconstitution qui selon nous (et selon la commission) est radicalement viciée dans sa méthode ;
  • à maintenir le principe de majoration pour manquement délibéré malgré la très forte baisse des rectifications ;
  • à n’accorder au contribuable que 1500 euros de frais irrépétibles malgré l’ampleur des efforts et des frais qu’il a dû engager pour obtenir ces abandons.

Notre sentiment à ce stade de la procédure est que le Tribunal a tout fait pour préserver le travail de l’administration. C’est très déplaisant.

Avec l’accord de nos clients, déjà un peu moins stressés, en septembre 2021, nous décidons de relever appel de ce jugement.

Une Cour administrative d’appel qui rend enfin justice au contribuable.

Notre requête en appel est de nouveau très travaillée et très fouillée. Nous y décortiquons le jugement et le critiquons avec méthode.

L’administration produit assez rapidement des conclusions qui maintiennent sa position et n’appellent pas d’observations complémentaires de notre part.

La clôture de l’instruction intervient en mai 2022. Cela nous laisse espérer un arrêt rapide, probablement à l’été 2022. Nous sommes confiants.

Contre toute attente, et malgré nos relances, la Cour ne va pas fixer de date d’audience. Les mois passent et finalement, l’audience est fixée… au 22 septembre 2023, seize mois après la clôture d’instruction !

Enfin, le 6 octobre 2023, la Cour rend son arrêt et annule le Jugement du Tribunal.

La Cour a notamment estimé que la méthode de reconstitution de recettes de l’administration « était trop imprécise pour pouvoir être admise et, par suite, radicalement viciée dans son principe. »

Alors que nous demandions 15 000 euros de frais irrépétibles, ce qui était très raisonnable au regard des dépenses engagées, le rapporteur en aura proposé 5000, et la Cour en aura accordé… 1500.

La fin heureuse d’une expérience douloureuse.

Après 6 ans de procédure, le restaurant est donc déchargé de la totalité du redressement notifié, soit 630 002 euros. Le redressement par ricochet sur le gérant sera bien entendu lui aussi abandonné.

L’obstination et le travail ont payé.

Mais quel parcours du combattant et quelle résistance de l’administration dans une affaire pourtant évidente dès le début.

Le but de ce post n’est pas de faire le procès de l’administration. Il convient d’ailleurs de rappeler que beaucoup de contrôles se passent au mieux. Nous, avocats, avons une vison déformée puisque les contribuables qui passent la porte de notre Cabinet sont les contribuables mécontents.

Mais l’on doit s’interroger sur ces dysfonctionnements et sur les suites que l’administration leur donne en interne. Les responsables de ce contrôle seront-ils seulement informés de cette décision de justice ? L’expérience me pousse à croire que non, cela ne relève plus de leur compétence. ils risquent de continuer à travailler de la même manière, sans même savoir que la justice a annulé leur travail.

Nous pouvons aussi nous interroger sur la réticence du juge de l’impôt à donner tort à l’administration et à indemniser correctement les contribuables de leurs frais de justice. La durée de l’affaire, alors même que nous avions ici de lourdes pénalités ayant la nature d’accusations en matière pénale, est anormale.

Ce que les contribuables doivent en retenir, c’est que même si le contrôle fiscal est un événement traumatisant, et même si ses conséquences apparaissent insurmontables, la procédure fiscale est aussi là pour les protéger.

Elle doit leur permettre, parfois au prix d’une longue lutte, d’être rétablis dans leurs droits.

Restons combatifs.

Jean-Pascal MICHAUD

Avocat spécialiste en droit fiscal

www.lmdavocats.fr

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